Par une décision en date du 18 octobre 2012, la Cour d’appel de Paris confère aux usages professionnels un rôle décisif dans la mise en œuvre du régime applicable aux conventions dites règlementées.
Pour les sociétés anonymes et en vertu du dernier alinéa de l’article L. 225-38 du Code de commerce, cette catégorie d’accords intègre notamment «les conventions intervenant entre la société - une société anonyme - et une entreprise, si le directeur général, l'un des directeurs généraux délégués ou l'un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise». La fonction qu’occupe une même personne au sein des deux sociétés, parties au contrat réglementé justifie la règle de principe édictée par le texte : la conclusion d’une convention règlementée doit être soumise à l’autorisation préalable du conseil d’administration. A défaut, la nullité de l’accord peut être demandée dans les conditions prévues à l’article L. 225-42 du Code de commerce.
L’article L. 225-39 du Code de commerce écarte toutefois du champ d’application de l’article L. 225-38, les conventions dites courantes «portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales». La validité de ces conventions n’est donc nullement conditionnée à une autorisation préalable du conseil d’administration. Le texte ne dit mot de la manière dont il convient d’apprécier le caractère «courant» ou «normal». En érigeant les usages professionnels au rang de critère d’appréciation «des conditions normales» auxquelles le contrat réglementé a été conclu, la Cour d’appel de Paris introduit donc le recours à un critère objectif susceptible de faciliter l’application de l’article L. 225-39 du Code de commerce.
A l’origine du litige, la société Clinique de la Dhuys avait conclu un contrat d’exclusivité avec un laboratoire d’analyses, la société anonyme Laboratoire ZTP. Signé en 1996, l’accord fixait la redevance due à la clinique à «13% HT du montant des honoraires perçus par le laboratoire pour son activité professionnelle» exercée auprès des patients de l’établissement médical. En contrepartie, la clinique, outre l’exclusivité consentie au laboratoire, mettait à sa disposition de nombreux espaces et exécutait à son profit des prestations diverses dans le cadre notamment de l’assistance médicale à la procréation. Le contrat d’exclusivité prévoyait également le versement d’une indemnité par la clinique au cas où celle-ci résilierait l’accord. Déterminé par les parties, le montant de l’indemnité correspondait au montant moyen des honoraires annuels perçus par le laboratoire au cours des trois années précédant la cessation du contrat, et ce même en cas de faute grave du laboratoire. Le 9 mars 2004, le comité médical d’établissement de la clinique décidait une première augmentation de la redevance de 2,5% HT. Une seconde augmentation de 2% TTC fut adoptée par cette même instance le 21 mars 2007. Entre temps, le 28 février 2007, un avenant au contrat avait été signé par M. Z en qualité de directeur général de la clinique et par Mme Z., son épouse, en qualité de dirigeante de la société Laboratoire ZTP, laquelle était par ailleurs directeur général délégué et membre du conseil d’administration de la clinique. Cet avenant diminuait tant le montant des redevances dues par le laboratoire que celui de l’indemnité due par la clinique en cas de résiliation du contrat d’exclusivité.
Reprochant à la clinique de ne pas respecter l’avenant du 28 février 2007 et de lui appliquer depuis 2007, le taux de redevances fixé par le comité médical d’établissement, le laboratoire l’assignait en demandant la validation judiciaire de l’avenant et la restitution des redevances indûment versées. En réponse, la clinique se prévalait de la nullité de l’avenant au motif qu’il constitue une convention réglementée soumise aux dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-42 du Code de commerce. Elle faisait valoir sur ce point que les conditions auxquelles avait été conclue la convention ne pouvaient être qualifiées de «normales» au sens de l’article L. 225-39 du Code de commerce. A défaut de satisfaire aux exigences posées par le texte, l’accord devait donc être annulé.
Après avoir justifié en quoi l’avenant litigieux devait bel et bien être qualifié de convention réglementée au sens de l’article L. 225-38, la Cour vérifia si sa conclusion satisfaisait aux conditions d’exemption de l’article L. 225-39. A cette fin, elle souligna tout d’abord que l’avenant portait bien sur une «opération courante» au motif que les accords liant une clinique à l’un des médecins exerçant en son sein, sont habituels. Si l’on ne peut, sur ce point, qu’approuver la conclusion de la cour d’appel, on en regrettera cependant la justification. En effet, le caractère courant de l’opération, objet de l’accord ne saurait résulter du fait qu’il ait été conclu entre la clinique et l’un de ses médecins mais, plus exactement, du fait qu’il unissait la clinique à un laboratoire d’analyses. L’appréciation par les juges du fond de la seconde condition édictée par l’article L. 225-39 n’encourt, au contraire, aucune critique.
S’agissant de l’appréciation des «conditions normales» auxquelles une convention réglementée doit avoir été conclue pour échapper à la nullité, la motivation de la Cour d’appel apparaît même des plus remarquables. Se livrant tout d’abord à une analyse exégétique du texte, les juges du fond prirent soin de relever que l’article L. 225-39 vise les conventions conclues «à des conditions normales» et non celles conclues «dans des conditions normales». De cette distinction, ils déduisirent que le critère de normalité ne peut s’appliquer qu’aux conditions d’exécution du contrat et non à celles entourant sa formation. Le fait que l’avenant ait été signé quelques jours avant la cession par M. et Mme Z. de leurs actions de la société Clinique fut donc jugé sans conséquence. Le caractère anormal du montant des redevances et de celui de l’indemnité de résiliation dont se prévalait la clinique retint, au contraire, toute l’attention de la cour d’appel.
Afin de justifier le caractère anormal du montant des redevances, la clinique invoquait l’existence d’un déséquilibre entre le taux réduit des redevances tel qu’il était fixé par l’avenant et l’importance des services dont le laboratoire bénéficiait en contrepartie. Mais après avoir relevé l’absence d’élément produit par la clinique pour permettre cette comparaison, la cour d’appel décidait que celle-ci ne rapportait nullement «la preuve qui lui incombait du caractère anormal des conditions de redevance fixées dans l’avenant du 28 février 2007 au regard des usages de la profession et des pratiques en vigueur dans l’établissement». A propos du montant de l’indemnité de résiliation, la cour d’appel retenait également que la clinique ne rapportait pas la preuve de son caractère anormal. En effet, l’établissement ne produisait aucun élément dont il pouvait résulter que l’indemnité telle que fixée par l’avenant «était supérieure à celle stipulée dans d’autres contrats conclus avec d’autres praticiens ou qu’elle était supérieure à ce que les usages de la profession admettent».
La lecture de la motivation révèle que les juges n’ont pas hésité à se référer aux usages professionnels pour apprécier le caractère anormal du montant des redevances mais aussi celui de l’indemnité de résiliation. Les usages professionnels s’inscrivent donc comme critère général d’appréciation du caractère anormal des conditions d’exécution d’une convention règlementée. Le recours à ce critère présente l’avantage d’introduire de l’objectivité dans l’appréciation d’une condition par essence subjective. Force est, en effet, de reconnaître qu’une même condition d’exécution d’un contrat réglementé pourra être considérée comme normale par une partie et anormale par une autre. L’application de l’article L. 225-39 du Code de commerce devrait, dès lors, se trouver facilitée. Le recours au critère des usages professionnels ne saurait toutefois être exclusif, son application supposant l’existence d’usages au sein du secteur professionnel concerné. La Cour, d’ailleurs, semble en convenir puisque dans sa motivation, elle mentionne, aux côtés des usages professionnels, les contrats de même nature conclus avec d’autres praticiens ainsi que les pratiques en vigueur dans l’établissement. Cette référence aux pratiques applicables au sein d’une clinique témoigne aussi de la volonté des juges du fond de distinguer pratiques et usages professionnels. En plus de renforcer le rôle déjà croissant des usages professionnels en matière de contentieux des affaires, la décision rendue par la Cour d’appel de Paris contribue donc également à en reconnaître la spécificité.
L’utilité pour les praticiens du corporate de connaître la teneur des usages et des pratiques des sociétés dont ils ont la charge n’est plus à démontrer!
M. Bourdeau