ALERTE JANVIER 2023 : MAYOTTE, L'AUTRE ILE DE LA COUTUME*
Si le département français de Mayotte est plutôt synonyme dans les médias de violence et de pauvreté, le remarquable Rapport publié en septembre 2022 par l’Institut des Etudes et de la Recherche sur le Droit et la Justice ajoutera désormais à ces tristes associations celle de richesse… juridique.
Intitulé « La place de la coutume à Mayotte », co-dirigé par nos Collègues Elise Rasler, Hugues Fulchiron, Aurélien Siri et Etienne Cornut et enrichi par vingt contributeurs, ce document de 522 pages présente les contours, les domaines les applications, l’encadrement et l’avenir des coutumes mahoraises (https://gip-ierdj.fr/wp-content/uploads/2022/11/18.19_Rapport_rech_fina…).
Le cadre mahorais présente des particularités liées notamment à son encadrement par l’article 75 de la Constitution française qui dispose : « Les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. ».
Certains aspects du Rapport dépassent toutefois le cadre de Mayotte.
Au rang des propositions qui pourrait notamment inspirer nos amis corses, on notera celles de notre Collègue Pascal Puig visant à sécuriser le statut foncier par la proposition de nouveaux textes renforçant les effets de la loi n°2017-256 du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer (p. 376).
Les plus réfractaires à la solution législative de problèmes liés à la conciliation d’usages et de règles étatiques seront séduits par la richesse des mécanismes coutumiers mahorais souvent d’origine malgache. La pratique originale de la dation de nom qui permet sans incidence sur la filiation de procéder à l’attribution du nom d’un père prétendu est ainsi remarquable (p. 276 et s.). Même si le pays à majorité musulmane ne met guère en valeur la place de la femme, les féministes trouveront à Mayotte une source d’inspiration pour leurs revendications. La coutume du magnahoulé permet ainsi à la femme mahoraise de statut civil de droit local de recevoir des prérogatives sur un bien immobilier lors de son mariage qui est la propriété collective des femmes de la communauté (p. 301).
Plus généralement, le Rapport met en lumière les travaux de notre Collègue Valérie Parisot sur les conflits de règles internes (V. Parisot, Les classifications des conflits internes de lois à l’épreuve de leur solution, Revue critique de droit international privé 2014/3, p. 469 (accessible sur cairn). Si nos Facultés connaissent les conflits de règles nationales dans le temps, ce rapport met en lumière les conflits de règles dans l’espace au sein même de notre République que l’article 1er de notre Constitution dit pourtant indivisible…
A cet égard, nous souscrivons assez à certains propos désabusées d’Hugues Fulchiron qui étudie dans ce Rapport les liens entre les coutumes et les droits fondamentaux : « A moins que la coutume l’emporte de facto sur un droit commun réduit à n’être qu’une superstructure sans autre signification que celle d’ouvrir la voie à des papiers officiels ou à des aides financières » (p 426).
* Nous empruntons ici aux tribulations anglo-normandes d’Emmanuel Araguas, L’île de la coutume face au mixed legal system : l’affrontement entre droit sécrété et droit décrété autour du contrat à Jersey, Tribonien 2020/1 (n° 5), p. 130.
P.M.