ALERTE JANVIER 2023 N°2 : L'ANGELUS DE SAINT-GREGOIRE
Les « bons chrétiens » savent que l’Angelus désigne une prière en l’honneur de Marie et par extension les sonneries appelant à la prononcer le matin, à midi et le soir.
Les « très bons chrétiens » savent que Saint Grégoire (540-604) fut un pape, Père de l’Eglise d’Occident.
Les « excellents géographes » savent que Gasville-Oisème est une commune d’Eure-et-Loir dont l’église est dédiée à Saint-Grégoire.
La fine fleur des politistes a pris connaissance de la décision de 2019 de l’ancien maire de Gasville-Oisième rétablissant l’Angelus à la suite de l’électrification des cloches de sa commune et d’un arrêté du nouveau maire de 2020 règlementant les sonneries sans évoquer l’Angelus parmi les sonneries autorisées. La décision non-écrite de l’ancien maire et l’arrêté du nouveau ont été soumis à la justice étatique par l’ancien maire favorable à l’Angelus et par des administrés peu sensibles à la poésie campanaire.
Par un jugement n°2002683 du 6 janvier 2023, le Tribunal administratif d’Orléans a annulé la décision et l’arrêté susvisés. La solution est provisoirement favorable à l’Angelus à qui l’arrêté de 2020 avait implicitement coupé les cloches. Selon ce jugement, il appartiendra au maire, « s’il l’estime utile de prendre un nouvel arrêté afin de règlementer l’usage des cloches ».
Cette intéressante décision permet de rappeler le traitement des sonneries des cloches dans un cadre étatique (I) et non-étatique (II).
I- Dans le cadre du Droit étatique français, les trois principaux textes applicables pertinents (ci-joints) sont :
- La Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat dont l’article 1er met en avant « la liberté de conscience »;
- Les articles 50 et 51 du décret du 16 mars 1906 pris en application de la loi du 9 décembre 1905 distinguant entre les sonneries civiles pour lesquelles le Décret de 1906 renvoie aux « usages locaux » et les sonneries religieuses; et
- L’article L 2212-2 du Code général des collectivités territoriales qui rappelle pour toutes le sonneries et notamment les sonneries religieuses la limite du « bon ordre ».
Dans ce contexte, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé dans un arrêt du 14 octobre 2015 (n° 374601) dans lequel il a jugé que "l'usage local s'entend de la pratique régulière et suffisamment durable de telles sonneries civiles dans la commune, à la condition que cette pratique n'ait pas été interrompue dans des conditions telles qu'il y ait lieu de la regarder comme abandonnée". (Voir Alerte de l’Institut des usages de novembre 2015). En matière privée, la police des troubles anormaux du voisinage qui fait parfois appel aux usages sera aussi applicable.
II- Dans l’ordre juridique non-étatique et notamment s’agissant de sonneries purement coutumières (sonneries aux morts, sonneries de chapelles privées,…), le Droit des usages s’applique lui aussi mais dégagé de son appréciation par le Conseil d’Etat. A ce dernier titre, l’« affaire de Saint Grégoire » permet d’évoquer deux difficultés originales.
La première concerne le défaut de continuité de l’usage pendant plus de 27 années. Cette situation aurait entraîné la désuétude de l’usage ou plus techniquement sa disparition par caducité. Plus positivement, on pourrait toutefois soutenir que le nouveau contexte d’électrification à partir de 2019 a pu faire naître un nouvel usage relatif à des cloches électrifiées. Pour ce second usage, le défaut de continuité ne serait pas applicable dans la mesure où il s’inscrit dans un contexte nouveau.
En outre, notre affaire rappelle le phénomène de « résuétude » d’usages campanaires que l’on observe à propos d’autres cloches et notamment s’agissant de celle de la Faculté de Droit de Montpellier. Si la cloche de cette Maison a été déposée, elle résonne en effet désormais pour certaines cérémonies et notamment pour celle de la remise des prix du Centre du Droit de l’Entreprise !
P. M.