ALERTE DECEMBRE 2023 : CONCURRENCE DELOYALE, PREUVE DES USAGES… ET IMPLANTS DENTAIRES
CA Versailles 9 novembre 2023, RG n°23/01407
Les juges désignent souvent des experts en matière de concurrence déloyale.
Un arrêt rendu le 9 novembre 2023 par la Cour d’appel de Versailles témoigne de cette pratique dans le cadre d’un contentieux entre associés d’une société d’exercice libéral exploitant un cabinet dentaire spécialisé dans les implants. Pour apprécier le caractère loyal du comportement d’un des dentistes associé Monsieur E., soupçonné d’avoir sous-facturé certains soins dans la comptabilité officielle du Cabinet, la Cour désigne un expert pour apprécier si différents comportements « sont conformes aux usages de la profession de chirurgien-dentiste ».
Aussi courant soit-il, ce type de désignation soulève des questions quant à la nature des usages (I) et quant à leur force (II).
I La nature des usages pose une question de base au juriste. Relèvent-ils du fait ou du Droit ? (Pour une étude complète et récente de cette question : G. Cerqueira, Approche notionnelle des usages par la Cour de cassation, in Les usages devant la Cour de cassation, Collection Droit des usages 2023, p. 31).
De notre point de vue, les usages portent d’une part sur des comportements qui sont des éléments de fait ; à cet égard, le recours à des experts est pertinent. Et on ne s’étonnera pas, en l’espèce, que la Cour demande notamment à l’expert de « déterminer dans quelle mesure la grille tarifaire dont argue la Société était suivie par les praticiens au temps où Monsieur E. y exerçait » (même si l’existence de pareille grille pose des questions en matière d’indépendance professionnelle et de concurrence…).
Mais les usages sont aussi des règles de Droit; à leur égard, le recours à des experts est plus délicat. Et l’on s’étonnera davantage en l’espèce que la Cour donne mission à l’expert de « préciser si les agissements reprochés au docteur E. (omissions de facturation ou sous facturation) et ceux qui seraient découverts de la part des autres praticiens sont conformes aux usages de la profession de chirurgien-dentiste ». En répondant à cette question, l’expert risque de s’aventurer dans le domaine du Droit. Il gardera alors à l’esprit l’article 238 alinéa 3 du Code de procédure civile aux termes duquel le technicien « ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique ».
II En matière de concurrence déloyale, une violation des usages pourra être constatée. Cela pourra faciliter la preuve d’un des cas traditionnels de concurrence déloyale. Notamment au cas d’espèce, les demandeurs invoquaient un « détournement » … de clientèle semble-t-il.
Mais peut-on aller plus loin et se demander si le non-respect des usages est un cas de concurrence déloyale en lui-même ? Plusieurs arrêts et auteurs le laissent penser et enrichissent ainsi la liste des cas de concurrence déloyale du Doyen Roubier (Cass. com. 31 mars 2015, n°14-12272 ; Droit des usages, 2ème éd. 2023, n°506). Sur ce point, on pourra lire la thèse d’Asmae Foufa, membre de l’Institut des usages intitulée « Concurrence déloyale et usages »… soutenue le 5 décembre 2023.
P. M.