OCTOBRE 2021 : SECRET DE LA CONFESSION, ORDRES JURIDIQUES … ET USAGES
« Le secret de la confession s’impose à nous et il s’imposera ». Dans le battage médiatique qui a suivi la publication du Rapport Sauvé, ce propos de Mgr de Moulins-Beaufort, Président la Conférence des évêques de France, tenu le 5 octobre 2021 sur France Info, n’est pas passé inaperçu… notamment du Ministre de l’Intérieur qui a convoqué (puis « invité ») l’intéressé.
Afin de clore la polémique, les deux protagonistes se sont ainsi rencontrés le 12 octobre. Au terme de cette rencontre, le Ministre a continué à asséner : « Je me suis permis de le lui redire, comme je le dis à chacun des cultes, qu’il n’y a aucune loi qui soit supérieure aux lois de l’Assemblée Nationale et du Sénat et qu’il n’y a aucune loi au-dessus de celles de la République ». Ce propos peut interroger eu égard notamment aux dispositions du Droit européen et du Droit de l’Union… Pour sa part, la Conférence des Evêques de France a publié le 12 octobre un communiqué dont la rédaction est un magnifique exercice de conciliation. On y lit : « Mgr Éric de Moulins-Beaufort a pu évoquer avec M. Gérald Darmanin la formulation maladroite de sa réponse sur France Info mercredi dernier matin. L’Etat a pour tâche d’organiser la vie sociale et de réguler l’ordre public. Pour nous chrétiens, la foi fait appel à la conscience de chacun, elle appelle à chercher le bien sans relâche, ce qui ne peut se faire sans respecter les lois de son pays. » On observera que la supériorité des lois ne figure pas dans ce communiqué.
Ainsi, si la polémique est (peut-être) apaisée, le débat juridique sur la « supériorité des lois de la République » sur la règle religieuse reste entier.
Ce débat s’est focalisé sur la conciliation des articles 226-13 et 14 du Code pénal qui respectivement sanctionnent et limitent certains secrets.
La dispute juridique s’est enrichie de l’invocation des articles 434-1 et 434-3 du même code qui sanctionnent la non-dénonciation… étant précisé que ces textes disposent qu’ils ne sont pas applicables aux personnes tenues au secret par leur profession « ou leur état ».
Pour bien faire, le Garde des Sceaux a écrit aux procureurs de la République en invoquant une circulaire du 11 août 2014 relative au secret professionnel…
On attend la contribution des spécialistes de la CEDH…
En dépit de leur intérêt technique, ces arguties juridiques nous paraissent oublier la question principale. Le Droit étatique et le Droit canon régissent des ordres juridiques distincts. Dès lors, les normes édictées par l’un de ces ordres ne sauraient selon nous être « supérieures » (ou inférieures) à celles de l’autre. La question principale est de savoir comment concilier les solutions de chacun de ces ordres et point de comment régler hâtivement un conflit de normes par une « supériorité » auto-proclamée.
Dans cette recherche de conciliation, qu’il soit permis d’évoquer ici la solution fréquemment utilisée pour résoudre les conflits entre l’ordre juridique étatique et l’ordre juridique des usages largement inspiré du Droit canon. Dans ce type de situation, la solution dépendra le plus souvent de l’autorité qui sera saisie (relevant de l’ordre étatique ou de l’ordre religieux). Dans l’ordre étatique, la règle étatique l’emportera souvent sur l’usage au motif que la violation par un usage d’une règle pénalement sanctionnée serait illégitime alors que la légitimité de l’usage (distincte de sa légalité) est une condition de son efficacité dans l’ordre étatique. Devant une autorité non-étatique, il faudra déterminer si une règle légale étatique qui imposerait la levée du secret de la confession serait légitime. Tout devrait être question de circonstances et non d’obligation systématique au motif notamment d’un devoir de précaution.
Dans un domaine moins dramatique, les débats sur la levée du secret de la confession pourraient inspirer les avocats qui invoquent parfois leur secret professionnel issu de leur ordre déontologique pour contester l’obligation qui leur est faite sous peine de sanctions pénales de déclarer des soupçons en matière de blanchiment de capitaux (Et si le Conseil National des Barreaux unifiait les règles et usages en matière de déclaration de soupçon, D. 2020, n°898).
Si ce parallèle nous éloigne de nos questions de confessions, il reste dans le périmètre historique de la Faculté de Droit de Montpellier autorisée depuis la bulle fondatrice de 1289 à exercer aussi bien en Droit civil que canon, ou plus savamment « in utroque jure ».
P. M.