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ALERTE JUILLET 2020 : JUNON CONTRE VESTA : LA GUERRE DES DEESSES DE L’IMMOBILIER

JUNON CONTRE VESTA : LA GUERRE DES DEESSES DE L’IMMOBILIER
Ordonnance de référé du Président du Tribunal judiciaire de Paris 10 juillet 2020, Conseil Supérieur du Notariat c. FNAIM, n°20/52941 

Depuis le XIVème siècle, un panonceau signale l’office notarial. Classiquement dorée, cette enseigne représente le plus souvent une figure de la Liberté sous les traits majestueux que certains prêtent à la déesse Junon qui parmi ses nombreuses attributions protégerait les femmes mariées.
Succombant aussi aux charmes de la mythologie romaine, la Fédération Nationale de l’Immobilier (« FNAIM ») a commencé en 2019 à proposer à ses 20.000 affiliés d’apposer sur leur officine un caducée représentant la sœur de Junon, la déesse Vesta. Déesse du foyer et de la fidélité, Vesta gardait le feu. Celui-ci était entretenu par de jeunes vierges, les vestales, placées plusieurs années à son service. Au terme de leur mission, les vestales étaient l’objet d’un respect particulier qui justifiait notamment qu’on leur confiât les testaments. C’est peut-être cette attribution qui a conduit les agents immobiliers à jeter leur dévolu sur Vesta pour illustrer leur panonceau … et la part mythologique de notre Droit.

Invoquant un risque de confusion avec le panonceau des notaires, le Conseil Supérieur du Notariat (« CSN ») a porté l’affaire devant la justice. Le CSN craignait notamment que la FNAIM ne puisse disposer de droits sur des marques semi-figuratives représentant l’image de Vesta. Par une ordonnance du 10 juillet 2020, le Président du Tribunal judiciaire de Paris a fait droit à la demande du CSN dans son action en référé contre la FNAIM. Sur la base d’«un monopole d’usage pluriséculaire sur le sceau et le panonceau opposés, qui leur a été légalement octroyé », il a retenu l’existence d’un « trouble manifestement illicite » et ordonné notamment la cessation de l’utilisation du signe « Vesta » et la dépose des enseignes déjà fixées.

En Droit des usages, cette ordonnance permet quelques observations quant au fondement du droit ainsi reconnu aux notaires sur leur panonceau. 

1. Pour justifier le droit des notaires, l’ordonnance et le communiqué de presse du 15 juillet 2020 du CSN citent expressément l’article 1er de l’ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 et le décret n°45-0117 du 19 décembre 1945 relatifs au statut du notariat. Ils ajoutent, mais sans citer de textes, qu’«en tant qu’officiers publics délégataires de puissance publique, les notaires ont le droit et l’obligation :
- de détenir un sceau semblable au sceau de l’Etat, preuve de l’authenticité des actes établis et marque de l’autorité dont ils sont revêtus ; 
- d’indiquer la présence d’une étude par un panonceau, symbole visible de la présence d’un officier public
 ».  

Ces références permettent quelques remarques. D’abord, ni l’ordonnance du 2 novembre 1945 ni le décret susvisés, ni même l’article 10.1 du Règlement National Inter-Cours des Notaires approuvé par arrêté de 2014 ne confèrent de droits privatifs aux notaires sur un panonceau. Le CSN accrédite d’ailleurs implicitement cette absence de protection réglementaire dans un autre communiqué du 25 mai 2020 dans lequel il écrit : «L’obligation de signalisation de la présence d’un notaire par un panonceau frappé des insignes de l’autorité publique est également apparue au XIVème siècle. Sa forme actuelle, adoptée en 1870 adapte le motif du « Grand Sceau de France » et constitue le symbole visible d’un office de notaire auquel chacun peut s’adresser pour être conseillé et faire établir un acte authentique revêtu du sceau de l’État».  L’ordonnance du 10 juillet 2020 note enfin qu’il importe peu au stade du référé « que le CSN ne dispose pas effectivement de droits privatifs de propriété intellectuelle sur le sceau et le panonceau ».

2. A défaut de fondement textuel professionnel, on pourrait solliciter le Droit des biens. Au titre du droit à l’image sur les biens dont on est propriétaire, on pourrait invoquer l’arrêt Hôtel de Girancourt dans lequel la Cour de cassation a admis que « le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal » (Cass. Ass. plénière, 7 mai 2004, n°02-10450). Propriétaires des panonceaux, les notaires pourraient s’opposer à un trouble lié à l’utilisation de l’image figurant dessus. Le souci est que la FNAIM ne reproduit pas l’image du panonceau des notaires mais une image voisine de celle figurant dans ledit panonceau. La nuance est suffisante pour écarter l’invocation de cette jurisprudence. 

De façon subsidiaire, on pourrait se tourner vers les « droits d’usage » des articles 625 et s. du Code civil. Ce fondement pourrait découler de l’expression « monopole d’usage » employée par l’ordonnance commentée ou de l’invocation par le Ministère public d’«une atteinte à un droit d’usage des notaires …». La piste serait séduisante mais le terme « usage » paraît davantage renvoyer ici à une protection de l’usus, c’est-à-dire du démembrement du droit de propriété consistant à utiliser un bien qu’aux droits d’usage essentiellement ruraux visés par le Code civil. Si cette explication éclaire l’emploi du terme « usage » elle n’explique toujours pas le fondement légal du monopole reconnu aux notaires sur l’image de Junon.

3. On peut alors proposer de solliciter le Droit de la concurrence: les notaires auraient un monopole légal en application du Droit de la concurrence déloyale. Comme cela a été récemment observé, le respect des usages est de plus en plus souvent un critère du caractère déloyal d’une pratique (A ce propos : Chronique Usages, JCP E 2020, 1235, 9, obs. A. Foufa). Mais les notaires n’agissaient pas ici en concurrence déloyale mais en sanction de « pratiques commerciales trompeuses ». Ce dernier fondement était sans doute plus acceptable pour les officiers publics que sont les notaires qui ne souhaitaient probablement pas être associés à des concurrents d’agents immobiliers. 

4. Au final, c’est peut-être le Droit commun des usages qui offre le fondement le plus satisfaisant pour justifier l’illicéité du comportement et la protection des prérogatives attachées à une image non-couverte par un droit étatique de propriété intellectuelle. Le comportement répété ancien et légitime des notaires consistant à employer l’image de Junon constitue un usage. Celui-ci confère des prérogatives et parmi elles la faculté de se prévaloir de la norme qui découle de l’usage pour s’opposer à l’utilisation de toute image similaire par des tiers. Ce fondement usuel est d’ailleurs cohérent avec l’ordonnance commentée qui sanctionne une « pratique commerciale trompeuse » au sens des articles L. 121-1 et s. du Code de la consommation. On sait en effet que pour apprécier le caractère trompeur d’une pratique la référence aux usages est pertinente. «En l’absence de texte déterminant en droit français la déontologie des professions commerciales, le standard de la diligence professionnelle sera apprécié par les juges au regard des usages ou des dispositions internes à telle ou telle organisation professionnelle » (D. Ferrier et N. Ferrier, Droit de la distribution, 8ème éd. LexisNexis 2017, n°429).

Si l’on retient ce fondement usuel, surgissent alors de nouvelles questions. Une première tient à la possibilité de se prévaloir d’un trouble manifestement illicite en cas de violation d’un droit d’origine coutumière. A cet égard, le Président du tribunal judiciaire de Paris juge que « le caractère manifeste doit s’apprécier au seul regard de l’illicéité du trouble invoqué, tandis que l’illicéité doit s’entendre comme la méconnaissance d’une norme juridique obligatoire, qu’elle soit législative ou réglementaire, de sorte que la violation d’un droit suffit à caractériser l’existence d’un tel trouble ». Au cas particulier, on pourrait préciser que le monopole pluri-séculaire des notaires repose in fine sur une norme coutumière plus que sur une norme « législative ou réglementaire ». Une seconde question porte sur l’identification des personnes recevables à agir pour la protection de telles prérogatives usuelles. A ce propos, on lira avec intérêt la contribution de Lise Chatain, Valoriser les usages par l’étude de leur mise en œuvre par les groupements (Valoriser les usages, Collection Droit des usages, 2020, p. 29).

En protégeant les prérogatives des notaires sur leur panonceau, le Tribunal judiciaire de Paris illustre l’intérêt du Droit des usages pour la défense des droits relatifs à des signes non protégés par le Droit étatique de la propriété intellectuelle. Si l’espèce porte sur un panonceau à l’effigie de Junon, elle pourrait aussi bénéficier à des sceaux, emblèmes ou blasons. 

Les déesses romaines n’ont pas fini de nous inspirer.

Pr. Pierre Mousseron (avec le précieux concours de Me J.R. Piquet)