ALERTE SEPTEMBRE 2023 : « DROIT EUROPEEN ET USAGES »
Le Droit européen n’est pas connu pour son tropisme coutumier. Qu’il s’agisse du Droit de l’Union européenne ou du Droit de la CEDH, le Droit écrit domine et ne renvoie que peu aux usages qui seraient attentatoires à l’Etat de Droit (… en clair, au Droit étatique).
Toutefois, deux affaires récentes pourraient modifier ce préjugé.
1. LA première a donné lieu à un arrêt de la CEDH du 17 janvier 2023, n°19475/20 Kunsberg Sarre v. Austria favorable à l’usage par une famille de la particule « von » dont l’Autriche entendait interdire la mention sur sa carte d’identité étatique à plusieurs de ses ressortissants.
Dans un arrêt (seulement disponible en anglais), la CEDH donne droit aux descendants de la famille « von Künsberg Sarre » de mentionner cette particule sur leurs papiers d’identité :« The foregoing considerations are sufficient to enable the Court to conclude that, firstly, the change initiated by the authorities of the applicants’ original surnames after long periods of previously accepted use and, secondly, the refusal to issue an identity card with that surname were not proportionate to the aim pursued by the authorities. Therefore, by discounting the applicants’ interest in keeping a surname with which they identified themselves and which they had borne for (very) long periods of time, the domestic authorities and courts failed to strike a fair balance with the applicants’ right to respect for their private and family life. »
Cette solution mérite au moins deux observations
D’une part, il est bien question d’un usage consistant à arborer une particule dans son nom patronymique.
D’autre part, cet usage est protégé au titre du droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 CEDH), là où la Cour de Justice avait préalablement invoqué la liberté d’établissement et là où l’on pourrait aussi invoquer le droit de propriété (Article 1 du Protocole 1).
2. La seconde affaire a donné lieu à un arrêt du Conseil d’Etat français (CE 21 juin 2023, n°452850 ; JCP éd E 2023, 1232). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat était appelé à enjoindre à SNCF Connect de supprimer la mention « Monsieur » ou « Madame » sur son site internet. Pour l’association demanderesse qui lutte contre les discriminations, ces mentions seraient attentatoires à la protection des données personnelles des utilisateurs au titre du Règlement 2016/679 (RGPD). Le Conseil d’Etat surseoit à statuer jusqu’à ce que la CJUE juge s’il peut être tenu compte à cet effet « des usages couramment admis en matière de communications civiles, commerciales ou administratives ».
Là aussi, deux observations sur cette affaire :
D’une part, on relèvera la timidité coutumière du Conseil d’Etat qui a besoin de l’aval de la CJUE pour savoir s’il pourrait être « tenu compte » des usages »… Quelle horreur !
D’autre part, cet appel à la CJUE paraît inévitablement déboucher en application du principe de subsidiarité à une réponse nationale, voire plus locale encore..…
Ces deux affaires présentent deux avantages au regard du Droit des usages. Le premier est de reconnaître leur juridicité. Le second est de rappeler que le régime des usages relève de régimes différents selon les ordres juridiques et les juridictions. De ce point de vue, la CJUE ou la CEDH ne peuvent donner que des solutions particulières et judiciaires au final moins déterminantes que les comportements des acteurs juridiques eux-mêmes.
P. M.